Plus de 3 000 espèces composent la flore alpine. Plantes des alpages ou fleurs de haute altitude ont de multiples vertus utilisées en pharmacie et en cosmétique, mais révèlent également des saveurs qui inspirent les chefs des plus belles tables des Alpes.

Les plantes font partie intégrante du régime alimentaire humain depuis les origines : elles nourrissaient déjà les hommes préhistoriques, et leurs applications médicinales ont été documentées dès l’Antiquité. Si l’industrie pharmaceutique continue aujourd’hui encore à les utiliser, l’aspect nourricier des herbes, très présent dans les Alpes jusqu’au milieu du XXᵉ siècle, est ensuite tombé peu à peu en désuétude. Depuis quelques années, ces trésors oubliés suscitent à nouveau l’intérêt.
Des chefs épris de botanique
Ce retour en grâce, ils le doivent à des chefs talentueux, avec en tête de file Marc Veyrat. Lui qui a grandi en Haute-Savoie, auprès d’une grand-mère qui l’envoyait cueillir le chénopode Bon-Henri (épinard sauvage) dans les alpages, a toujours trouvé naturel d’utiliser les plantes pour sublimer ses plats. L’un de ses anciens disciples, Jean Sulpice, s’est lui aussi pris de passion pour les herbes sauvages. Il leur réserve une place de choix dans son restaurant étoilé au bord du lac d’Annecy, L’Auberge du Père Bise.
« Utiliser les plantes des alpages offre une véritable connexion avec la nature, et une synergie intéressante avec les produits du terroir. Il me paraît essentiel d’ancrer sa cuisine dans son environnement. C’est pour sublimer la mousse de beaufort, dont je souhaitais rappeler les notes florales, que j’ai pour la première fois ajouté du carvi, de la livèche, de la pimprenelle… » se rappelle-t-il. Depuis, le chef a travaillé des végétaux variés, testé des recettes avec les feuilles, les fleurs ou les graines. Il continue à prendre le temps de la cueillette, accompagnant ses équipes dans les prés. « Certaines plantes, comme l’aspérule odorante et ses notes de vanille, sont plus intéressantes séchées que fraîches. Nous les ramassons à pleine maturité pour les stocker. » Tout comme les légumes, les plantes ont une saisonnalité.
En cuisine !
Tarte au rumex alpin, polenta légère aux fleurs de montagne, biscuit de Savoie à l’épicéa… ce recueil de recettes alpines incite à la cueillette pour reproduire soi-même les plats imaginés par 39 jeunes chefs talentueux. Cette nouvelle génération de chefs inventifs braque les projecteurs sur les plantes qui peuplent les alpages en revisitant avec créativité les plats ancestraux des Alpes.
Au travers de recettes accessibles et didactiques, on découvre à la fois leur univers, leurs inspirations, mais également les richesses de nos montagnes avec un œil nouveau. Reste à se lancer dans la confection d’une tourte au chénopode ou d’une polenta à l’oxalis pour s’imprégner de toutes leurs saveurs.
Un potager grandeur nature
La mousse des sous-bois, présente toute l’année, a inspiré à Jean Sulpice un plat d’hiver qui évoque des souvenirs d’enfance, avec la saveur d’une promenade en forêt. En début d’été, la reine des prés vient se marier à l’écrevisse : « Ses notes d’amande apportent un équilibre intéressant, soulignant la saveur de café torréfié des carapaces d’écrevisse, telle l’illusion d’un amaretto », détaille Jean Sulpice.
Les chefs utilisent ainsi les plantes pour assaisonner ou condimenter leurs plats, infuser un bouillon, une huile ou une crème. Souvent puissants, les arômes francs de ces herbes sauvages offrent d’infinies variations créatives, bien plus complexes que les omelettes ou soupes aux orties des grands-mères. L’ortie, très répandue et facile à reconnaître, est très complète dans l’assiette ! Proche de l’épinard une fois cuite, elle révèle en bouche un arrière-goût de noisette quand on la déguste crue.
Franck Bortolotti, accompagnateur en moyenne montagne spécialisé, dévoile son secret pour la cueillir sans se piquer : « Saisir franchement une feuille par le pétiole, la retourner et la lisser entre les doigts de la tige vers le bout de la feuille. Vous pouvez ensuite réaliser un délicieux pesto avec un filet d’huile d’olive, du parmesan, des pignons de pin. » Avant d’y ajouter une petite racine d’ail des vignes, qui ressemble à s’y méprendre à l’ail domestique.
Si la plupart des plantes comestibles se trouvent en moyenne montagne, jusqu’à 2 000 mètres, la haute montagne révèle une flore différente aux caractéristiques étonnantes, davantage utilisées en cosmétique.
Ses applications dermatologiques
La vie en altitude représente bien des défis pour la flore : conditions climatiques extrêmes, vents violents, températures négatives et ensoleillement intense, sols pauvres en nutriments, courte période estivale… La plupart du temps de très petite taille, elles poussent en touffes serrées et déploient tout un arsenal de protection pour s’épanouir dans cet environnement hostile.
« C’est cette adaptation à leur milieu qui confère à ces végétaux des principes actifs puissants, intéressants en cosmétique », explique Sophie Guilbaud, directrice R&D chez Sanoflore. L’emblème de ces plantes de haute altitude, c’est l’edelweiss, que l’on retrouve jusqu’à 3 000 mètres. Les scientifiques se sont très tôt penchés sur les principes actifs qu’elle contient pour résister aux rigueurs de la haute montagne.
« L’edelweiss a des propriétés anti-inflammatoires et antioxydantes, qui agissent contre le stress oxydatif (climat, pollution). Elle est particulièrement efficace dans la lutte contre le vieillissement cutané », détaille Sophie. Depuis 40 ans, Sanoflore a constitué une base de données exceptionnelle avec des tests qui documentent les propriétés des plantes, et notamment des variétés endémiques du Vercors, massif d’origine de la marque. Certaines de leurs applications sont même brevetées, comme l’hydrolat de thym orange, qui stimule la production de protéines assurant la cohésion des cellules de l’épiderme pour renforcer la barrière cutanée.
Très utilisées dans les soins anti-âge, les plantes de montagne, comme la sarriette des montagnes, antiseptique naturel, peuvent aussi servir à la régulation des peaux grasses. Utilisées en synergie, c’est-à-dire associées les unes aux autres, les plantes décuplent leur efficacité. Même chose en cuisine, où elles se marient à merveille avec d’autres ingrédients pour en sublimer la saveur. Petites par la taille, mais grandes par le talent !
Sept conseils pour cueillir les herbes
Si vous souhaitez goûter à ces trésors oubliés près de chez vous, n’oubliez pas :
- vos ciseaux ou couteau pour ne pas arracher les racines, et un sac en tissu pour rapporter votre cueillette ;
- de prélever raisonnablement : jamais plus d’un quart sur un pied ou une zone ;
- de vérifier que le terrain n’est pas privé, et qu’il n’est pas souillé par des déjections d’animaux ;
- de cuire tout ce qui a été ramassé à moins de 40 centimètres du sol pour éviter les bactéries et maladies comme l’échinococcose ;
- de laver ce qui sera consommé cru ;
- de réduire les quantités par rapport aux légumes domestiques, car les actifs sont très concentrés ;
- de cueillir uniquement des plantes que vous connaissez : une confusion est possible avec des herbes toxiques.







