Rochebrune, l’essence du ski

Il y a 92 ans exactement, le téléphérique de Rochebrune prenait son envol, et avec lui le ski, passé du rang de simple plaisir à celui de loisir incontournable. Entre la cabine rouge des débuts, symbole indémodable, et les pistes d’aménagement d’aujourd’hui, la glisse continue de faire sa mue. 

Pour des générations de mômes passés par Megève, le téléphérique rouge a constitué une porte ouverte sur le rêve, à contempler les allées et venues de cette cabine suspendue à son câble d’acier. Certains se sont même amusés à étirer les lignes de ce jouet entre deux montants de la chambre à coucher. Et puis, à l’heure des premiers virages, ils se sont entassés dans cette large benne avec ce frisson que seule procure l’aventure. Le téléphérique de Rochebrune constitue un pan immuable de l’imaginaire collectif, avec une aura d’autant plus vivace que l’engin a véritablement scellé les débuts du ski et des sports d’hiver il y a plus de 90 ans.

Construit en 1933 par l’entrepreneur et exploitant forestier Charles Viard, ce téléphérique, premier du genre en France à avoir été spécialement dédié aux skieurs, vient alors valider le développement d’une pratique qui remonte en réalité à 1914, année de la création du premier concours de ski à Megève.

Quatre-vingt-seize voyageurs par heure en 1933

Entre le pied de la Croix de Rochebrune, à 1 150 mètres (à 400 m du village), et le plateau d’arrivée, à 1 750 mètres, cette benne forte de 20 places avale dès l’origine 602 mètres de dénivelé en 10 minutes et transporte 96 voyageurs par heure. Le succès est immédiat, à la mesure de « cette merveille de modernisme et d’innovation qui va tout bouleverser », dixit l’auteur Gilles Chappaz dans Allais, la légende d’Émile. Exit les télétraîneaux et les autocars, les skieurs se précipitent à Rochebrune, et grâce à la rapidité des rotations, peuvent enchaîner les descentes, participant au damage naturel et à la naissance des pistes de ski.

Émile Allais, le champion mégevan, contribue à la notoriété de la station naissante en remportant, en 1937, trois titres aux jeux mondiaux de Chamonix. À Megève, il s’illustre aussi sur une piste à son nom : dès 1950, un grand prix international de descente y est organisé, qui restera un rendez-vous incontournable jusqu’en 1975. D’autres enfants de la station, les frères Duvillard, y feront aussi parler la poudre un peu plus tard.

Cent quatre-vingt-cinq mille passages par an en 2025

Taillée pour la glisse, grâce à sa fameuse cabine rouge qui dessert le secteur de Rochebrune avec des liaisons vers l’Alpette et la Cote 2000 (2 014 m), Megève est plébiscitée pour son ski doux et bucolique – ce qui n’exclut pas quelques pentes plus engagées –, entre alpages et forêts d’épicéas. Proche du village, comme aux premiers jours, le téléphérique de Rochebrune reste encore son point d’accès emblématique, même si les historiques cabines rouges – l’une d’entre elles est installée à l’entrée du village – ont déjà été changées six fois depuis la construction de la ligne. Depuis leur dernier renouvellement en 2021, elles comptent 34 places respectives et fonctionnent toute l’année pour le plus grand bonheur des skieurs ainsi que des promeneurs et des vététistes, enregistrant plus de 185 000 passages annuels.

Des projets en suspens

Fort de cette histoire, le domaine skiable est pourtant confronté à d’importants besoins d’évolution. La SA des remontées mécaniques de Megève, filiale de la Compagnie du Mont-Blanc, nourrit depuis plusieurs années l’ambition de réaménager et de sécuriser le domaine, de moderniser et d’optimiser les réseaux de neige de culture. Ce plan ambitieux, entrepris en 2014, prévoyait notamment de démonter quatre appareils (deux téléskis et deux télésièges) pour les remplacer par deux télésièges 6 places débrayables et un téléski débutant, de créer une piste de ski ainsi que des réseaux de neige de culture d’un linéaire d’environ 5 000 m. Selon ce projet, « les pistes existantes » devaient être « réutilisées en grande partie et les implantations des nouveaux aménagements réalisées prioritairement dans les emprises foncières des installations existantes ».

Depuis mai 2022, les travaux ont été suspendus par le tribunal administratif de Grenoble à la suite du recours d’un riverain et d’une association environnementale. Faute d’issue dans l’immédiat, la SA des remontées mécaniques, en concertation avec la municipalité, pourrait réorienter ses projets d’investissement, avec une enveloppe de 27 M€, autour du développement et de la modernisation du secteur de la Cote 2000. Cette solution prévoit notamment le remplacement du télésiège fixe du Radaz par un télésiège débrayable 6 places ainsi que la construction d’un bâtiment en gare aval plus adapté aux attentes actuelles de la clientèle (mise en service : décembre 2026). Dans un deuxième temps, le télésiège fixe de la Cote 2000 céderait la place à un télésiège débrayable 6 places (mise en service en décembre 2027). Par ailleurs, la création d’une piste de liaison entre le sommet du télésiège débrayable de Petite Fontaine et la piste des Lanchettes est également prévue afin de mieux répartir les flux pour l’accès à la Cote 2000 et diminuer l’attente au téléski de Rochefort. Ce projet pourrait voir le jour en décembre 2027.