Avant l’épopée touristique, une autre histoire de Morzine avait commencé à s’écrire. Une histoire de montagnes, liée non pas à leur beauté extérieure, mais à leur richesse intérieure : celle de l’exploitation de la vallée des Ardoisières, l’une des dernières encore en activité en France.

Pour découvrir cette autre facette de l’histoire locale de Morzine, direction la vallée de Sous-le-Saix, que l’on appelle aujourd’hui la vallée des Ardoisières. Au fond serpente la route qui va de Morzine aux Prodains, d’où part le téléphérique éponyme rejoignant Avoriaz. Nous sommes à environ 1 000 mètres d’altitude, le long de la Dranse. Le versant sud de cette vallée a donné son nom au site : la vallée des Ardoisières. Il possède en effet des bancs d’ardoise générés par des roches comprimées pendant des millions d’années. À la différence des schistes ardoisiers, il s’agit de grès schisteux très fins, aux propriétés particulières de solidité et de facilité de débitage.
Déjà sur le clocher de l’église en 1736
Ces bancs ont été mis en lumière au XVIIIᵉ siècle vers le Lavanchy (au pied du massif de Ressachaux) par les frères Joseph et Pierre Chuit. En 1736, ils furent utilisés pour la première fois en format ardoise afin de couvrir l’église originelle de Morzine. Petit à petit, les mines d’ardoise prospèrent pour devenir, au XIXᵉ siècle, une véritable activité, exercée l’hiver en complément du pastoralisme estival : dans les galeries, les températures sont largement au-dessus de zéro.
La renommée des ardoises de Morzine est importante, notamment en Haute-Savoie, où elles couvrent de nombreux toits. Leur résistance, leur imperméabilité et leur facilité de travail font qu’elles sont préférées aux tavaillons – planches en bois qui recouvraient traditionnellement les toits dans la vallée et, à Avoriaz, les façades (N.D.L.R.). Au XIXᵉ siècle, jusqu’à 70 mines sont dénombrées, employant 250 personnes. Aujourd’hui encore, lorsque l’on parcourt la route de la vallée des Ardoisières, les entrées de mines s’égrènent tout au long de la paroi du versant sud.
Une exploitation artisanale
L’exploitation des bancs de schiste a toujours été – et reste encore aujourd’hui – artisanale. Cependant, au fil du temps, la mise au point de techniques d’extraction plus modernes et une certaine mécanisation ont fait évoluer l’activité. À l’origine, on attaquait la falaise en son bord, au nez du rocher, puis, petit à petit, via des galeries horizontales qui s’enfoncent en suivant les bancs. Des piliers de soutènement en pierres sèches sont construits pour prévenir les risques d’effondrement.
Comme tout travail de la mine, celui des ardoisières de Morzine a longtemps été dur et périlleux. L’extraction est la première étape. Elle s’est longtemps faite à l’aide d’une barre à mine et de poudre explosive, avec les dangers que cela comporte. Une fois détachés des bancs, les blocs sont fendus en plaques. Celles-ci sont conduites vers l’entrée de la mine à dos d’homme, puis, plus tard, dans des wagonnets.
La transformation en feuilles d’ardoise, d’environ 4 à 15 millimètres d’épaisseur, passe par le clivage : l’ardoise, qui se caractérise par une fine foliation, se brise le long de celle-ci pour laisser apparaître des surfaces lisses et plates. Les feuilles sont ensuite ciselées puis classées en catégories selon leur taille, par exemple « les petites » (13 × 19 cm) ou « les juges » (35 × 50 cm). L’ardoise est ensuite percée afin de pouvoir être fixée sur un toit. Vient enfin le travail pénible de l’acheminement vers la vallée, à dos d’homme, à l’aide de luges ou par transport par câble.
Au fil des années, le travail s’est modernisé pour gagner en rendement et en sécurité : utilisation de câbles diamantés, puis d’haveuses (bras de découpe XXL) et de coussins hydrauliques pour détacher les blocs de la masse, brise-roche pour les fendre, engins de levage pour leur transport. À l’atelier, les blocs sont désormais débités en morceaux plus petits grâce à une débiteuse à commande numérique.
L’usage de l’ardoise a également évolué vers la décoration ainsi que l’aménagement intérieur et extérieur, venant compléter sa fonction initiale de couverture de toits. De quoi pérenniser cette activité singulière sur les hauteurs de Morzine.


