Jérémi Seguda, le sushi au sommet

Passionné par le travail manuel et les plantes asiatiques, Jérémi Seguda a découvert le monde du sushi sur le tas. Après plusieurs reconversions professionnelles et une carrière de musicien arrêtée prématurément, il a commencé à se former, il y a seulement une dizaine d’années, à l’univers très précis et millimétré de la cuisine japonaise. En 2024, ce natif de Vallorcine est devenu vice-champion du monde de sushis à Tokyo. Rencontre.

« La passion aide à apprendre. Elle apporte beaucoup. » Au départ, rien ne prédestinait Jérémi Seguda à devenir l’un des meilleurs sushis-men au monde. Né à Vallorcine, où il a grandi et passé la plus grande partie de sa vie, il est issu d’une famille artistique, ses parents étant marionnettistes. Le Vallorcin a d’abord suivi des cours à l’École de musique de Lyon, avant de devoir choisir une autre voie pour des raisons de santé.

Intéressé par les plantes japonaises, il en a écrit un livre, avant de tomber dans le monde de la cuisine. « C’est artistique, précis. Les sushis nécessitent un travail minutieux qui se façonne avec les mains. C’est ce qui m’a directement attiré. Nous répétons des milliers de fois le même geste. C’est un spectacle », raconte Jérémi Seguda. Ses premiers pas dans la cuisine asiatique, il les fait au Satsuki, à Chamonix, avant d’ouvrir sa propre entreprise, Artisan Sushis, aux Houches. « Nous ne faisions que de la vente à emporter. Pendant le Covid, notre activité a explosé. Après la pandémie, j’ai cherché un lieu dans le centre-ville de Chamonix pour monter un restaurant. C’est comme ça que mon premier établissement, Yumidori, est né. » Yumidori, c’est la contraction des prénoms de ses deux filles en japonais. Un joli clin d’œil.

Une soif d’apprendre

« En France, comme au Japon, la formation se fait directement au sein des cuisines. Il y a quelques écoles qui commencent à voir le jour, mais le savoir s’acquiert en étant plongé dans le bain », sourit le Vallorcin. Après avoir été sacré triple champion de France en 2018, 2019 et 2021, il est devenu vice-champion du monde de sushis en 2024. Au total, une poignée de candidats est sélectionnée pour représenter leur pays aux mondiaux. Une compétition très stressante et codée, à l’image du pays du Soleil-Levant.

Au programme : deux jours d’épreuves entre découpe de poissons, de légumes, de coquillages, épreuve créative, de vitesse et dégustation. « L’état d’esprit n’est pas le même qu’en France. Ici, tout est très strict, rempli de procédés. C’est une ambiance très solennelle », explique Jérémi Seguda. Après le premier jour et les épreuves de découpe et de préparation de plateaux traditionnels chronométrés, seulement une vingtaine de candidats est choisie pour participer au second jour de championnat. Pour l’ultime épreuve, la création d’un sushi signature, le Français a opté pour quelque chose de simple, loin de l’excentrisme. « Les Japonais sont très traditionnels. Les épreuves créatives doivent rester sobres pour plaire. Ce sont des juges locaux qui vont noter notre travail, il faut rester dans le cadre. »

Au menu, Jérémi Seguda a choisi de réaliser un sushi de bar, recouvert d’une légère gelée très fine de ponzu, une sauce à base de jus d’agrumes acides sudachi, yuzu et kabosu. Il a accompagné son œuvre de quelques fleurs de shiso et d’un peu de poudre d’or. « C’est intéressant de voir les profils très différents des sushis-men. Lorsque l’on voit mes créations, on comprend que je suis quelqu’un d’artistique et de passionné. »

Un lien entre Chamonix et le Japon

Après son titre, ce fou de sushis a eu l’occasion de retourner au Japon se perfectionner dans un restaurant très pointu. Là-bas, la culture du travail n’est pas la même et les techniques bien différentes. Un constat qu’il pose en souriant : « Quand je suis arrivé, je me suis rendu compte que j’étais mauvais. » Dans ce monde assez fermé, les Japonais apparaissent clairement au-dessus du lot, malgré l’effervescence de la cuisine asiatique en Occident.

Le travail du poisson est totalement différent, plus précis, plus poussé, et surtout, avec des espèces marines que l’on ne retrouve pas ailleurs. « C’est une culture. Lorsque le poisson est pêché et qu’il arrive dans l’assiette, les procédés suivis ne sont pas les mêmes qu’en Occident. En France, nous sommes avant tout un pays de viande. »

Dans son restaurant Yumidori, où l’on retrouve autant des sushis que différents plats asiatiques, les employés sont formés à l’image de la culture asiatique, en apprenant les techniques avant de se lancer dans les découpes de poissons et les gestes répétés. « Lorsque vous commencez un poste, vous réalisez toutes les étapes petit à petit. Ici, nous faisons la même chose. Pour apprendre, il faut commencer par la technique du bol et ensuite, la personne commence à rouler et à découper. »

Pour le sushi-man, le Japon se rapproche en nombreux points de Chamonix, entre les montagnes, les forêts et la culture. « Ils sont passionnés, comme nous ici. » Pour rendre hommage à Chamonix à travers un sushi, il imagine quelque chose de très épuré, fidèle à l’esprit de la montagne. « Simple, brut, comme le paysage ici. Peut-être un sushi à la truite, un poisson de nos rivières. » Un clin d’œil à ses débuts quand, enfant, le poisson occupait une place centrale dans sa vie avec une passion pour la pêche. Et pour lier encore plus son univers culinaire à ses racines alpines, il ajoute une plante de montagne, subtile, locale, comme pour créer un lien entre le Japon et les Alpes.

Dans un avenir proche, Jérémi Seguda envisage d’ouvrir un nouveau restaurant, cette fois entièrement dédié à l’univers du sushi. Un lieu plus intimiste et haut de gamme. « L’idée est que les clients ne viennent pas seulement pour manger, mais pour vivre un moment, une expérience. »