Briançon : 400 ans d’histoire gravés dans la pierre

Si les murs de Briançon pouvaient parler, ils conteraient une ville aux multiples visages, où chaque époque a laissé sa trace. Ouvrages de fortification, villas cossues, résidences touristiques et quartiers populaires, derrière chaque pierre se cache une histoire. Décryptage.

Installée à 1 300 mètres d’altitude, Briançon, ville d’art et d’histoire, attire le regard avec sa cité fortifiée perchée sur un éperon rocheux. Pourtant, cette dernière ne représente aujourd’hui qu’une partie de la commune. Amélie Baum, animatrice architecture et patrimoine à Briançon, prévient : « Il n’est pas facile d’appréhender la ville par son développement urbain. Si la ville haute est un espace urbain dense et homogène, la ville basse s’est développée de façon plus anarchique selon les quartiers et les besoins des différentes époques. » Née de sa position stratégique à la croisée de cinq vallées, Briançon, anciennement Brigantio, est occupée avant même l’époque romaine. Au XVIIe siècle, elle se transforme en une ville fortifiée moderne, grâce à l’œuvre de Vauban, missionné pour défendre les frontières des menaces savoyardes et piémontaises.

Au cœur des fortifications, si la douceur de vivre et les boutiques invitent à la flânerie, l’urbanisme est clairement militaire : pont-levis, créneaux de tirs, remparts… Celle que l’on appelle désormais la ville haute, ou cité Vauban, riche de 1 500 habitants à la moitié du XIXe siècle, a conservé son caractère médiéval. Dans la grande rue pavée, les maisons, coiffées de toits inclinés pour supporter la neige, ont été pensées hautes, étroites, mitoyennes pour s’adapter à la pente, au manque de place et conserver la chaleur. Les façades en pierre – remplaçant le bois – aux couleurs pastel, sont les témoins de la reconstruction de la ville après le passage de nombreux incendies. Au cœur de cette organisation urbaine, la « gargouille », une rigole servant à arroser les jardins et lutter contre les incendies, irrigue encore les ruelles. Un peu plus loin, sur la place du Temple, la collégiale Notre-Dame-et-Saint-Nicolas rappelle la culture transalpine de la région avec ses deux tours carrées symétriques, décorées de cadrans solaires.

PIERRES ET PRIÈRES

En aval de la citadelle, notre promenade nous mène au quartier de Roche. Ce dernier concentre d’anciens couvents et des édifices religieux, comme l’église des Cordeliers, le plus ancien bâtiment de la ville. Construite au Moyen Âge, elle conserve des peintures murales du XVe siècle et fait l’objet d’un projet de transformation en Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine (Ciap). Mais les vestiges de Vauban dépassent les remparts puisque la défense qu’il imagine, mise en place par son successeur au XVIIIe siècle, s’étend vers les hauteurs. « Qui tient les hauts tient les bas », clamait-il, en imaginant ce qui compose aujourd’hui une enceinte stratégique verrouillant les accès à la cité, à savoir les forts des Salettes, du Dauphin, des Trois Têtes, du Randouillet, la Communication Y et le pont d’Asfeld. Tous ces édifices, inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, font partie intégrante de l’histoire de la ville.

HORS DES MURS

Notre visite continue hors des remparts. Il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour que la ville amorce un développement vers le bas de la vallée. « À cette époque, raconte Amélie Baum, l’implantation d’une usine de traitement de déchets de soie, l’arrivée du train et la construction de casernes militaires nécessitent de la place. » Le hameau, anciennement rural, de Sainte-Catherine offre l’espace recherché, attirant la population et les commerçants. L’attrait pour ce « nouveau » quartier crée une concurrence entre la ville haute, cœur historique, et la ville basse, moderne et dynamique. Des vestiges de cette époque restent les belles maisons de la rue centrale, mansardées, aux balcons en fer forgé. L’actuelle avenue de la République, « la Chaussée », a été construite pour faire le trait d’union entre les deux « villes » de l’époque, qui n’en forment désormais plus qu’une. Pour apaiser les tensions, les services publics, comme le lycée et la sous-préfecture, y sont implantés.

TOURISMES BLANC ET CLIMATIQUE

Le siècle suivant a laissé son empreinte sur un autre pan de montagne, entre le Champ de Mars et la vallée de Serre Chevalier. Au début du XXe siècle, dans l’entre-deux-guerres, Briançon devient une station climatique, prisée pour soigner les maladies respiratoires grâce à son air pur et sec. Des sanatoriums et des hôtels de cure, tels que le Bois de l’Ours, Chantoiseau et Rhône Azur, voient le jour, affichant une architecture qualifiée de « rationalisme constructif ». Résolument tournés vers le confort, les grands bâtiments aux lignes sobres s’ouvrent sur des façades lumineuses, des terrasses orientées sud. Le tout avec des matériaux naturels (verre, bois, pierre). Si certains d’entre eux sont en reconversion, ils restent des témoins de l’histoire de la station. Parallèlement, le domaine skiable, développé dans la vallée adjacente de Serre-Chevalier, est relié à la ville par la construction de la télécabine du Prorel (1989). Si l’installation n’apporte pas une architecture typiquement montagnarde à la ville, comme les traditionnels chalets, elle continue son développement avec l’implantation de logements collectifs, de maisons individuelles, de zones sportives, industrielles et commerciales.

UNE VILLE CONSTAMMENT EN MOUVEMENT

Depuis le départ de l’armée (2009), Briançon amorce une nouvelle ère avec la reconversion des casernes du quartier du 15-9 en espaces multifonctionnels : hôtel de ville, médiathèque, marché couvert et habitats divers. Cet « écoquartier » privilégie la mobilité douce, les espaces végétalisés et les liens sociaux, en mêlant architecture contemporaine et matériaux locaux (pierre, bois, zinc). Via ce projet, la municipalité aspire à « accommoder la vie des habitants et améliorer le cadre de vie […] La création d’interfaces modernes et végétales, pour un territoire embelli et fluide, est un facteur pris en compte ». Parmi les autres projets figure la transformation du fort des Trois Têtes en village olympique pour 2030, puis en quartier mixte avec des logements et des équipements culturels. La visite de Briançon, à travers le spectre des défis de chaque époque, aide à mieux comprendre cette ville complexe, où cohabitent aujourd’hui plus de 10 000 habitants… et des siècles d’histoire !