Impressionnant pour les spectateurs, le Jumping international de Megève se révèle bien plus redoutable pour les cavaliers en piste. À chaque foulée, tournant ou barre franchie, c’est le mental du cavalier qui est mis à l’épreuve. Concentration, gestion du stress, visualisation : la force intérieure s’impose comme un allié discret mais indispensable lors de chaque parcours, orchestrant un subtil équilibre entre maîtrise de soi et harmonie avec son cheval.

Alors que la carrière mégevanne s’apprête à accueillir une nouvelle épreuve, les cavaliers parcourent la piste à pied pour effectuer la reconnaissance du parcours. Chaque barre, chaque virage est scruté, chaque saut est déjà imaginé. Avant même que le premier obstacle soit passé, un travail invisible s’opère, depuis déjà quelques semaines pour certains.
Comme dans de nombreux sports, la performance commence bien avant que la cloche sonne le départ. Elle se joue dans l’esprit du cavalier. Arrivé 4e du Prix de Megève (Grand Prix 1 m 50), Cyril Bouvard explique : « Je fais beaucoup de visualisation juste après la reconnaissance du parcours. J’essaye vraiment de m’imaginer dans l’action avec mon cheval, je connais exactement son fonctionnement, je peux anticiper ses réactions. » Il existe néanmoins autant de techniques qu’il y a de cavaliers. Pour l’espoir français Leona Mermillod Baron, vainqueur du CSI 3*1 m 35 du jeudi, la préparation en amont est primordiale : « Je prépare les échéances importantes un ou deux mois à l’avance. Je répète beaucoup dans ma tête, je fais du conditionnement et de la manifestation : j’essaie de me voir réaliser ce que j’ai envie de faire », confie-t-elle. Le conditionnement est une technique mentale qui vise à s’habituer à réagir de manière précise et maîtrisée dans une situation donnée, tandis que la manifestation consiste à visualiser positivement l’issue souhaitée, à se projeter dans la réussite.
Au-delà des concours
Cyril Bouvard a expérimenté le coaching mental, il témoigne : « Cela va au-delà de la simple visualisation mentale. Nous avons fait un véritable état des lieux de l’entourage familial, des relations, de tout ce qui peut vraiment améliorer ou porter préjudice à la réussite sportive. On avait aussi traité l’hygiène de vie, le sommeil, la nourriture, la préparation sportive, les étirements… enfin c’était très complet. » Une approche que partage Philippe Linget, préparateur mental, qui rappelle que la performance naît d’un équilibre global : soigner son corps, clarifier son esprit, et ne pas laisser les tensions du quotidien interférer avec la précision qu’exige chaque foulée en piste.
Appréhender l’échec
L’équitation reste malgré tout un sport imprévisible, où les hauts et les bas s’enchaînent sans prévenir : « On n’a pas trop le choix en équitation. Après un échec, il faut se remettre dans sa bulle, adopter tout de suite un état d’esprit positif » explique Leona Mermillod Baron. D’autant plus que les chevaux réagissent aux émotions de leur cavalier. De son côté, Cyril Bouvard ajoute : « Après chaque parcours, une remise en question est nécessaire, il faut essayer de savoir ce qui ne va pas, et aller de l’avant. »
Cette philosophie n’est pas propre à l’équitation : elle illustre un principe fondamental de la préparation mentale. « On s’améliore en priorité par les erreurs, pas par le résultat. Malheureusement, quand on discute avec des jeunes, dès qu’ils échouent, c’est un échec. On oublie de leur dire que rater, c’est apprendre. »
La relation avec le cheval n’est d’ailleurs pas à négliger, puisque sa présence rend l’apprentissage mental unique, insiste Philippe Linget : « On a un collaborateur qui est un animal et qui a aussi un cerveau. Les émotions du cheval et celles de son cavalier se croisent. Au tennis, je n’aurais aucune chance contre Federer. Mais ici, en concours hippique, le cheval peut faire la différence comparé à la raquette. »
Respirer
Au-delà de l’anticipation et de la rigueur, le mental se travaille dans les détails invisibles qui façonnent un parcours. La respiration devient un repère essentiel pour retrouver son calme et rester maître de ses émotions. Philippe Linget enseigne cette méthode à ses cavaliers de façon concrète tout au long de la reconnaissance à pied, avant de réaliser le parcours à cheval : « Lors de la reconnaissance, on repère ensemble les points de ravitaillement d’oxygène. L’obstacle numéro 1, oxer vert, six foulées un peu courtes, le 2, virage sur le 3 pour rentrer dans la combinaison, après le 4 il y a un long virage : on pense à prendre le temps de respirer ! »
Comme un coureur qui reprend son souffle sur une étape difficile, le cavalier s’appuie sur des pauses mentales pour garder la maîtrise, entre effort et relâchement. Philippe Linget résume l’essence de la préparation mentale avec une citation de Nelson Mandela qui pourrait servir de mantra pour tous : « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends. »
Quand vigilance rime avec performance
Avec plus de 500 chevaux et 350 cavaliers engagés, devant 25 000 visiteurs chaque année, le Jumping international de Megève impose une organisation millimétrée, où la sécurité n’est jamais laissée au hasard. « Ça évolue tout le temps, l’équipe de sécurité est de plus en plus importante », souligne Pascaline Freiher-Scharapan, présidente de l’association Megève en selle. Obstacles contrôlés, matériel vérifié et, depuis deux années maintenant, un steward de nuit qui accompagne les cavaliers lors des visites nocturnes. « Il y a des concours où il y a eu des problèmes. Pour le bien-être de tous, on ne peut pas se le permettre », ajoute l’organisatrice du Jumping.
Cette sécurité supplémentaire garantit la sérénité avant, pendant et à l’issue des tours, favorisant une concentration optimale. Cette vigilance ne gomme cependant pas les particularités de la piste. « La carrière n’est pas très grande et le public est tout près », décrit Pascaline. Une configuration qui fait l’authenticité de l’événement, que chaque cheval vit à sa manière : « Il y a des places où nos chevaux se sentent moins bien… la piste, ou le lieu, et puis finalement on va à un autre concours le week-end d’après et puis c’est mieux », glisse Cyril Bouvard.
Entre cadre d’exception et décor sécurisé, le concours fait de cette singularité sa force et sa renommée.


