Les secrets de la Grande Motte

Point culminant du domaine skiable avec ses 3 663 mètres d’altitude, la Grande Motte dresse sa haute stature glaciaire au-dessus de Tignes. Ce lieu emblématique, qui est aujourd’hui encore un des plus vastes glaciers skiables de France, est en réalité un trésor éphémère. Et pourrait devenir le symbole d’une transition réussie.

Indissociable de Tignes, dont il a inspiré le logo, figurant une vague blanche sur ciel bleu, le sommet de la Grande Motte est partagé par les communes de Val Cenis et Champagny-en-Vanoise. Le glacier qui la recouvre, au nord, descend jusqu’à environ 2 800 mètres d’altitude. On considère qu’il avait atteint sa plus grande taille entre moins 14000 et moins 12000 : à cette époque, il descendait au fond de l’actuel barrage du Chevril ! Quatre mille ans plus tard (en 8000 av. J.-C.) le glacier avait déjà fondu de moitié, s’étirant jusqu’au Val Claret.

Jusqu’au XIXe siècle, ce territoire hostile alimentait les pires craintes et les légendes des populations locales. Le 4 août 1864, ce sont trois alpinistes britanniques (Blandford, Cuthbert et Rowsell) qui atteignent les premiers le sommet de la Grande Motte au terme d’une rocambolesque épopée. À peine plus d’un siècle plus tard, le téléphérique nous mène en cinq minutes à la gare d’arrivée, située un peu plus bas que la cime, à 3 456 mètres.

Un lieu incontournable

Ouverte en 1975, après des travaux titanesques mobilisant pendant plus de 200 jours 4 hélicoptères pour transporter 3 000 tonnes de matériel, cette remontée mécanique est la plus haute du domaine skiable.

À l’arrivée, la vue est imprenable sur les plus hauts sommets de Savoie : la Grande Casse, la Grande Sassière, le mont Pourri, le dôme de la Sache… mais aussi sur toute la chaîne du Mont-Blanc, et jusqu’aux 4000 mètres italiens. C’est ce qui en fait un lieu de passage incontournable, quelle que soit la saison, hiver comme été. En juillet, skieurs et promeneurs côtoient les alpinistes en herbe, que les guides mènent sur leur première course d’arête. L’hiver, des pistes rouges ou noires sillonnent le secteur. Elles demandent un entretien bien différent du reste des pistes. Frédéric Bigi, chef de secteur de la Grande Motte depuis 38 ans, en atteste : « Tout au long de l’hiver, il y a un gros travail de conservation de la neige par les machines. Il est essentiel de créer des sillons pour tasser, piéger la neige et éviter qu’il y ait du transport par le vent. Trois réserves de snowfarming sont également bâchées au printemps pour conserver de la neige pour le ski d’été. » Tout ce travail permet d’améliorer l’enneigement du glacier, mais tous sont conscients que cela ne suffira pas pour enrayer la fonte qui s’accélère. Il sera nécessaire de « valoriser petit à petit le printemps plutôt que le ski d’été, car en sortie d’hiver nous avons toujours d’excellentes conditions », évoque Frédéric Bigi.

S’adapter au changement

Le suivi du glacier est pris très au sérieux à la mairie de Tignes. Jordan Ré, directeur du pôle communal de la transition environnementale, l’affirme : « D’ici une dizaine d’années, nous perdrons sans doute l’aspect visuel du glacier sur la partie qui se skie actuellement. Entre 1982 et 2019, il a perdu 70 % de son volume et 30 % de sa surface, en fondant d’un mètre par an. Désormais, le phénomène s’accélère, on est plutôt sur une moyenne de 2 à 4 mètres de perte par an. Il pourrait donc être amputé de 85 % de sa surface à horizon 2035-2040. » La face nord, secteur hors piste bien connu des guides locaux, serait celle qui persisterait le plus longtemps.

Mais quand le glacier se retire, il laisse derrière lui un relief accidenté. Sera-t-il compatible avec du ski de piste accessible ? « Pas forcément, surtout dans les parties supérieures », selon Jordan, qui poursuit : « Il faudra envisager toutes les solutions au niveau du ski, y compris un secteur uniquement freeride. Nous avons une responsabilité envers ce lieu, le glacier a été très utilisé pendant des décennies. Nous lui devons bien ça maintenant, de ne pas s’acharner et d’entamer un processus de résilience. » Sentinelle du réchauffement climatique, le glacier de Tignes est aussi devenu un symbole de la transition. « Pour un futur durable et enviable en montagne », ajoute Jordan.