Nouvelles sentinelles des Alpes

Les drones révolutionnent la gestion des territoires montagnards. Passés du statut de gadget high-tech à celui d’outil professionnel indispensable, ils s’imposent désormais comme des alliés de la sécurité, de la surveillance et de la protection de l’environnement.

Longtemps perçu comme un simple jouet, le drone dévoile aujourd’hui un potentiel insoupçonné en montagne. Pour Antoine Fleischmann, directeur associé de Patrolair, entreprise spécialiste en conseil, formation et accompagnement aux métiers du drone à Aix-en-Provence, « c’est un capteur de données extraordinaire. Nous n’en sommes qu’au début de son histoire et de ses applications ». S’il était initialement cantonné à la photographie aérienne pour capter des vidéos spectaculaires et filmer des événements sportifs destinés à la promotion touristique, le drone a rapidement trouvé des usages plus opérationnels. Dans un environnement aussi exigeant que la montagne, il devient désormais incontournable pour des missions de sécurité, d’inspection technique et de préservation environnementale.

QUAND LE DRONE SAUVE DES VIES

En cas d’avalanche, un drone peut lever le doute en quelques minutes en repérant des indices invisibles à l’œil nu : traces de ski, équipements abandonnés ou variations thermiques détectées par caméra infrarouge. « Le drone a déjà sauvé des vies, comme aux Arcs où deux skieurs ont été localisés et guidés par haut-parleur avant d’être hélitreuillés », précise Antoine Fleischmann.
Demain, les appareils équipés de détecteurs de victimes d’avalanches (DVA) permettront de retrouver plus vite les personnes ensevelies. Capables d’évoluer dans des zones inaccessibles ou trop dangereuses, ils complètent les moyens traditionnels de secours en montagne, tels que le PGHM, avec lequel Patrolair a déjà établi des protocoles opérationnels stricts.

AU CHEVET DES INFRASTRUCTURES

L’inspection des infrastructures alpines (remontées mécaniques, pylônes, gazex) expose encore trop souvent les techniciens à des risques importants. Avec des zooms puissants et des caméras thermiques, les drones diagnostiquent à distance l’état des équipements. « Un drone peut lire la référence d’un boulon à 100 mètres », explique Antoine Fleischmann. Résultat : moins de déplacements périlleux et une maintenance ciblée, car les équipes savent précisément où intervenir. À Courchevel, par exemple, les gazex – systèmes déclenchant artificiellement des avalanches – sont régulièrement contrôlés par drones, malgré leur implantation dans des zones particulièrement difficiles d’accès. Contrairement aux idées reçues, le drone n’est donc pas destiné en priorité à la surveillance des pistes ouvertes, déjà équipées de caméras fixes. Sa vraie valeur ajoutée se situe en périphérie des domaines ou la nuit, pour vérifier par exemple la production de neige de culture sur des centaines de perches, et ajuster les réglages à distance.

MESURER L’INVISIBLE

Au-delà des missions de sécurité, les drones offrent une cartographie 3D d’une précision centimétrique, bien supérieure aux outils grand public comme Google Earth. Un tel niveau de détail est essentiel pour suivre l’avancement de chantiers, calculer le volume exact d’éboulis ou surveiller l’érosion. Équipés d’un capteur LiDAR (qui émet des lasers), ils révèlent même le relief du sol sous une végétation très dense. Pour les stations, c’est un atout stratégique : meilleure planification des aménagements, suivi des risques naturels (glissements de terrain, accumulation de neige) et gestion optimisée du patrimoine foncier. Serre-Chevalier se distingue d’ailleurs comme la seule station en France à avoir fait du drone un outil spécialisé dans l’observation du manteau neigeux, avec un suivi d’une grande précision.

GARDIENS DE LA NATURE

Les applications environnementales sont vastes et en plein essor. Grâce à des capteurs multispectraux, les drones identifient les zones de sécheresse, surveillent la santé des forêts ou détectent des maladies affectant la végétation – des données précieuses pour des organismes comme l’Office national des forêts (ONF). Les nouveaux modèles, plus silencieux, intègrent intelligence artificielle et caméras thermiques pour recenser la faune (chevreuils, sangliers). Cela exige toutefois une planification rigoureuse pour ne pas perturber les oiseaux nicheurs, en particulier dans les parcs nationaux comme la Vanoise où le survol reste interdit sans dérogation.

La surveillance des glaciers ouvre un autre champ d’application prometteur. En survolant régulièrement un glacier, on peut créer des modèles 3D et mesurer avec une extrême précision son évolution, le mouvement des crevasses, etc. À terme, l’objectif est de mieux anticiper les chutes de séracs et d’accroître la sécurité des alpinistes comme des professionnels. Le drone s’impose ainsi comme un acteur majeur de l’avenir montagnard.