L’alpagiste, berger qui exploite un alpage, vit en altitude durant tout l’été avec ses animaux. Véritable gardien de la montagne, il joue un rôle environnemental de premier plan. Régulation des végétaux, entretien du terrain montagnard, gestion de la cohabitation avec les espèces sauvages, l’alpagiste a vu son métier évoluer au fil du temps. Découverte.

Dans les Hautes-Alpes, terre d’élevage et de transhumance, la commune de Villeneuve met à disposition son territoire à trois groupements pastoraux, dont deux l’empruntent principalement avec leurs brebis. Dans la vallée de la Guisane, le climat et le terrain, secs et rustiques, se prêtent plus particulièrement à l’élevage ovin.
UN RÔLE ESSENTIEL EN MONTAGNE
Le métier est très encadré et réglementé. Les trois principales missions de l’alpagiste sont la gestion du troupeau, des ressources pastorales et de l’environnement. Pluriactif, formé et diplômé, il est embauché par un groupement comprenant au minimum trois éleveurs, auxquels la commune « loue l’herbe ». Il guide des animaux qui lui appartiennent, ou lui sont confiés pendant l’été pour compléter son troupeau.
Pour les communes, soutenir le pastoralisme et encourager l’agriculture de montagne est essentiel. Cela leur permet de gérer leurs ressources durablement grâce à l’entretien permanent de leurs territoires d’altitude. C’est aussi tout un écosystème qui contribue à fixer la population locale aux quatre saisons.
Le berger, qui organise son temps de manière autonome, doit gérer son herbe. Il guide ses bêtes là où elle est de qualité, la plus nutritive, en prenant soin d’éviter les lieux où poussent des espèces nocives ou toxiques. Les brebis doivent se nourrir suffisamment sans abîmer les sols, de façon à préserver la ressource en herbe et ainsi favoriser sa régénération. L’alpagiste change ainsi de quartier (juillet et août) pour utiliser au mieux l’espace qui lui est alloué. Il joue un rôle dans la régulation des végétaux : par exemple, pour limiter la prolifération du queyrel, une herbe qui pousse en touffes robustes, il concentre ses brebis dans un parc fermé pour les forcer à manger cette plante. Le berger assure le suivi sanitaire de son troupeau. Il détecte et contrôle plaies et infections éventuelles, dont le développement du piétin (maladie favorisée par l’humidité et la boue dans les parcs) et applique les premiers soins.
ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ
Le temps de la grande transhumance où les bergers migraient à pied de Provence jusque dans les années soixante a laissé place à un acheminement en train, puis aujourd’hui par camion. La tradition festive qui l’entoure demeure toutefois dans certains villages, lorsqu’ils sont traversés par le berger et son troupeau.
Éric, berger passionné et retraité, se souvient : « Mon troupeau avait tendance à se déplacer instinctivement à la recherche des plantes endémiques les plus bénéfiques à son alimentation, mais qui sont devenues plus rares aujourd’hui. » La sécheresse et la diminution des chutes de neige en hiver produisent une herbe moins haute, moins abondante et « moins nourrissante » assure-t-il.
« Avant, mes brebis étaient en liberté, en couchade libre sur un serre au frais pour y profiter des courants d’air. Mon chien de travail, un border collie, agissait comme un outil qui ne faisait que prolonger mon bras pour guider le troupeau. » Aujourd’hui, le travail du berger doit s’adapter à l’apparition du loup. Ce chien de conduite emblématique s’est vu adjoindre la compagnie de chiens de protection, principalement des patous, dont la mission est de défendre le troupeau.
Les attaques de loup étant plus fréquentes depuis 20 ans, la filière agricole a dû s’organiser pour gérer au mieux cette cohabitation. Le Cerpam*, institution départementale organisée de façon collégiale, délivre de nombreuses aides pour la mise en place et la prise en charge de matériel (filets, clôture et parcs), l’accompagnement à la réalisation d’équipements, l’alimentation des chiens, la dispense de formations, l’octroi ponctuel d’un aide-berger suivant la taille du troupeau.
En œuvrant pour le maintien de la biodiversité, sa mission de conseil consiste entre autres à estimer la disponibilité et la qualité des ressources naturelles, ses diagnostics pouvant aussi inciter à limiter la taille d’un troupeau futur sur un périmètre référencé.
UN ENVIRONNEMENT À PRÉSERVER
L’alpagiste doit aussi composer avec les contraintes environnementales présentes sur son alpage. Sur le secteur « Cristol-Saint-Joseph » par exemple, sur la commune de La Salle, un espace classé « Natura 2000 » n’est pas accessible durant la période de reproduction de certaines espèces. Versant nord, le Parc national des Écrins limite les pâtures à certaines dates et en certains lieux pour protéger la reine des Alpes (un chardon bleu) mais aussi les poussins du tétras-lyre.
La présence sur certains sites sensibles de médiateurs permet de sensibiliser et de partager au mieux l’espace qui abrite des espèces végétales ou animales fragiles, et d’éviter les conflits d’usage entre utilisateurs. La montagne joue ainsi pleinement son rôle d’espace de production et d’espace de loisir.
Sur le domaine skiable, les bergers et les animaux contribuent à l’entretien du terrain. Les « drayes », ces cheminements formés par le passage répété des bêtes dans l’alpage et qui ont donné leur nom à certaines pistes sur le domaine skiable, favorisent la rétention de la neige et de l’herbe grâce à la formation de petits escaliers. La conservation du manteau neigeux ainsi que le damage s’en trouvent ainsi facilités.
UN MÉTIER TOURNÉ VERS L’AVENIR
Bergers et bergères disposent de plus de moyens et d’un meilleur confort : des voies d’accès carrossables, une alimentation en eau plus pérenne, des cabanes rénovées et plus confortables, des moyens de communication plus efficaces et des outils de prévention appropriés. Le label Guil/Durance permet aux éleveurs de mettre en valeur leur production d’agneaux, et des projets axés sur la valorisation de la laine sont engagés. Le métier se féminise, attire un public plus citadin grâce à des formations professionnelles qui séduisent un public en reconversion.
Pour un pastoralisme durable et résilient, des produits sains et locaux, une relation respectueuse entre l’homme et l’animal ainsi qu’un partage harmonieux de l’espace naturel, l’alpagiste reste le témoin privilégié et indispensable de l’évolution des montagnes.


