Chamonix et Courmayeur fêtent cette année les 60 ans de leur jumelage. Entre France et Italie, cette célébration met en lumière une longue histoire commune liant ces deux villes, qui entretiennent leur fraternité avec le Mont Blanc comme dénominateur commun.

© Courtesy of SkywayMonteBianco
« Le 27 juin 1787, j’ai passé à Courmayeur avec Alexis Tournier ; nous avons mis seize heures depuis les Bois jusqu’à Courmayeur, onze heures et cinq heures pour descendre. Nous sommes passés les premiers depuis plus d’un siècle. » Ces mots sont ceux de Jean-Michel Cachat après sa traversée du col du Géant (3 350 m) entre Chamonix et Courmayeur, traversée qui fait office de première officiellement enregistrée, même si le passage était déjà dans la légende locale. Même si ces 16 heures de marche paraissent bien longues, la preuve est faite que les glaciers et parois ne sont plus une barrière. Mais l’ont-ils déjà été entre ces deux communes, qui ont comme premier point commun d’être situées de part et d’autre du géant des Alpes ?
Unies par un même pays
En dépit des obstacles géographiques, des communautés culturelles existent depuis des temps anciens. C’est le cas ici, entre la Savoie et le Val d’Aoste, dont Chamonix et Courmayeur sont des lieux emblématiques. Au cœur de leur lien : une histoire et une langue communes.
Les deux petites cités appartenaient en effet au même pays, les États de Savoie, constitutifs depuis 1713 du royaume de Piémont-Sardaigne. Au fil des événements historiques, la vallée de Chamonix, et plus largement les territoires qui constituent aujourd’hui la Savoie et la Haute-Savoie, deviennent français en 1793, avant de réintégrer le royaume de Piémont-Sardaigne pour quelques années, entre 1814 et 1860.
De l’autre côté des Alpes, le roi Victor-Emmanuel II de Savoie poursuit le projet d’unifier les différents duchés et royaumes de l’Italie, soutenu diplomatiquement par la France. En échange de cet appui, Victor-Emmanuel II est contraint de céder, par le traité de Turin, le comté de Nice et la Savoie à son voisin et allié. Le 4 avril 1860, la ville de Chamonix devient donc française, tandis que Courmayeur reste italienne. Malgré ces aléas politiques, l’usage du français y demeure un symbole fort d’une identité partagée. En 1561, le duc de Savoie avait en effet institué le français comme langue officielle. À Courmayeur, comme dans le reste du Val d’Aoste, le français est toujours considéré comme une deuxième langue : pour travailler dans l’administration, son utilisation est même indispensable. Italien, valdôtain et français se côtoient ainsi allègrement dans les noms de lieux et les patronymes.
Une montagne en partage
Les liens entre les hommes savent se jouer des reliefs, et ceux-ci constituent d’ailleurs un lieu commun, au joli sens du terme. Les deux villes sont des capitales du ski et de l’alpinisme : côté français, le versant nord du massif du Mont-Blanc et ses grands systèmes glaciaires ; côté Courmayeur, le versant sud et ses faces immenses. Elles partagent le sommet du Mont-Blanc, tellement partagé d’ailleurs qu’il est encore source de querelle sur sa nationalité. Le tracé de la frontière sur les cartes IGN françaises le situe en France, alors que celui issu du traité de Turin passe sur la crête du sommet.
Si la renommée de Courmayeur a commencé au XVIIᵉ siècle, portée par ses sources d’eau sulfureuse, elle est devenue majeure en raison du rôle que la ville a partagé avec Chamonix dans l’histoire de l’alpinisme. Les compagnies des guides de Chamonix et de Courmayeur ont été créées respectivement en 1821 et 1850. Sur les deux versants, depuis la première ascension en 1786, conquêtes, exploits et tragédies ont écrit la légende d’un lieu unique. Le Mont-Blanc a ses deux voies normales, l’italienne et la française.
D’un point de vue pratique, les alpinistes engagés dans les grands itinéraires italiens du Mont-Blanc descendent fréquemment par la voie normale française. À l’inverse, en sortie de la face nord des Grandes Jorasses, la descente se fait par l’Italie. Aujourd’hui, touristes, skieurs et alpinistes admirent, skient ou grimpent d’un versant à l’autre, au gré des conditions.
Des actions communes
Cette fluidité est facilitée sous terre, par les 11 kilomètres du tunnel du Mont-Blanc, et dans les airs, par les câbles de l’Aiguille du Midi, du Panoramic Mont-Blanc et du Skyway Monte Bianco pour passer de Chamonix à Courmayeur. Dans le domaine de la pratique de la montagne, citons aussi la Fondation Montagna Sûre. Elle est la cousine valdôtaine de La Chamoniarde. Elle étudie les phénomènes et problématiques liés aux milieux de haute montagne et forme jeunes, professionnels ou simples pratiquants. Les deux entités collaborent notamment pour le recueil et la diffusion des conditions en montagne.
Autres symboles de ces liens par la montagne : les courses de trail de l’UTMB®, telles que la YCC, qui associe pour les jeunes traileurs une course au départ de Courmayeur et une au départ de Chamonix, ou encore le projet E-bike Mont-Blanc, qui a développé des itinéraires adaptés au vélo électrique sur les deux versants de la montagne, avec navettes gratuites entre Courmayeur et Chamonix.
Ces échanges nourrissent la vie locale des deux vallées, notamment dans l’aspect associatif et culturel, grâce au jumelage entre les deux villes qui existe depuis 1966. Surtout, au-delà des diverses activités, il y a un lien essentiel entre les deux communes : c’est leur coopération transfrontalière dans la gestion du massif du Mont-Blanc, particulièrement via l’Espace Mont-Blanc. Les conséquences du réchauffement climatique, les enjeux de mobilité, les risques naturels, le cadre de vie des habitants, le développement d’un tourisme durable et la valorisation des produits du terroir sont au cœur des enjeux portés par l’entité. Quand on partage le sommet de l’Europe, n’y a-t-il pas l’exigence de faire cordée ?

© Giacomo Buzio – Courtesy of Courmayeur Mont Blanc



